Dans une lettre ouverte que vous pouvez lire ci-dessous, Ann Gingras, la présidente du conseil central de Québec-Chaudière-Appalaches de la CSN, le syndicat qui représente la majorité des travailleurs de la Davie, exige plus de transparence d'Ottawa dans le dossier des navires ravitailleurs pour la Marine royale canadienne, comme l'entreprise lévisienne l'a fait hier.
Le Canada a-t-il besoin ou pas de l’Obélix?
Vendredi dernier, devant un parterre de gens d’affaires réunis à Québec pour l’entendre, le premier ministre Justin Trudeau a affirmé que le Canada n’avait pas besoin de l’Obélix, un deuxième navire d’approvisionnement proposé par Chantier Davie. Il se faisait ainsi écho à certaines déclarations de divers responsables du ministère de la Défense nationale et de la Marine. À notre avis, le premier ministre est mal informé et la population est en droit d’exiger l’heure juste.
La situation actuelle
Actuellement, bien qu’elle opère deux flottes de navires, l’une dans le Pacifique, l’autre dans l’Atlantique, et qu’elles doivent patrouiller dans trois océans, la Marine canadienne ne possède qu’un seul navire de ravitaillement, l’Astérix, une réalisation de Chantier Davie. C’est évidemment insuffisant et, comme de fait, la Marine canadienne sous-contracte le ravitaillement de ses navires à des pays alliés.
Il y a des besoins qui ne sont pas comblés. C’est la conclusion à laquelle parviennent le comité de défense du Sénat et le comité de défense des communes qui tous deux soutiennent la proposition d’un deuxième navire de ravitaillement fourni par Chantier Davie. C’est également la position officielle du document de politique de défense, la doctrine de la Marine (Leadmark 2050).
Comment alors peut-on dire que « le Canada n’a pas besoin de l’Obélix » ? C’est que le Canada a commandé deux navires de soutien interarmées au chantier Seaspan de Vancouver. Le problème, c’est que l’on ne sait pas quand au juste le Canada pourra compter sur ces navires dont la construction n’est même pas commencée au moment d’écrire ces lignes.
Promis à l’origine pour 2017, l’échéancier est repoussé d’année en année et les coûts explosent. Aux dernières nouvelles, le premier navire commandé à Seaspan ne sera pas opérationnel avant 2025 au plus tôt et coûtera au minimum 800 M$ de plus que prévu. En comparaison, Chantier Davie promet une livraison en 18 mois avec un coût fixe comme pour l’Astérix.
Mensonges et obstruction
Un personnage semble tirer les ficelles à Ottawa dans le dossier de la construction navale et faire de l’obstruction systématique. Il s’agit de Pat Finn, sous-ministre responsable de l’approvisionnement au ministère de la Défense nationale. Il est également responsable, depuis le début, de la Stratégie nationale de construction navale. Encore récemment, Pat Finn déclarait aux médias nationaux que le premier navire de soutien interarmées promis par Seaspan est « en voie d'achèvement ». Dire qu’un navire de 20 000 tonnes, qui est encore à l’étape de la conception, est « en voie d’achèvement » semble pour le moins exagéré.
Quand Davie a proposé de construire deux navires d'approvisionnement pour le Canada, en 2014, Pat Finn s’est opposé à ce projet, affirmant notamment que Chantier Davie et ses travailleurs étaient incapables de construire un seul navire ravitailleur. Les faits l’ont évidemment contredit, comme l’a démontré la livraison de l’Astérix.
À chaque fois que le dossier de l’Obélix revient dans l’actualité, Pat Finn affirme que Seaspan livrera sous peu un premier navire de ravitaillement… d’abord en 2021, puis en 2023, puis en 2025.
Alors que Davie insistait pour obtenir un contrat pour la construction de l’Obélix, le ministre de la Défense et son équipe ont soudainement trouvé 60 M$ pour « couper de l'acier » pour une petite section du navire projeté par Seaspan et donc pouvoir déclarer que « le travail avait commencé » et ainsi prétendre à nouveau qu’il est inutile de commander un deuxième navire à Davie.
La semaine dernière encore, en réponse à d'autres appels en faveur d'un deuxième navire d'approvisionnement de Davie, Pat Finn a informé les médias que « la moitié avant du premier navire de soutien interarmées est presque terminée » à Seaspan et que la proposition de la Davie est inutile.
Pourtant, dans un courriel de Seaspan à ses fournisseurs envoyé la semaine dernière, le chantier naval cherchait un fournisseur capable de construire la même partie avant du navire que M Finn déclarait pourtant « en voie d'achèvement ». Seaspan, dans son courrier électronique, n’a fourni qu’un croquis approximatif de la partie avant du navire et indique aux fournisseurs qu’il y aura plus de détails lors de la publication d’une demande officielle de devis pour la construction de la totalité de la section avant. Cependant, M. Finn affirme que « la moitié avant du navire est presque terminée ».
Que cachent les mensonges et l’obstruction systématique? Pat Finn était responsable du projet pour les navires de soutien interarmées avant d’être sous-ministre adjoint à l’approvisionnement pour le ministère de la Défense nationale. En fait, il travaille sur ce dossier depuis 2004, au grand dam des contribuables canadiens.
Prendre acte de l’échec
La Stratégie nationale de construction navale est un échec flagrant. Il est temps d’en prendre acte et ne plus se fier sur la parole de l’un de ses artisans. Dans le dossier spécifique de l’Obélix, il est évident que la Marine canadienne a besoin maintenant, et sans doute pour plusieurs années, d’un deuxième navire de ravitaillement. Et, même si les deux navires de soutien interarmées promis par Seaspan sont livrés un jour, ça ne veut pas dire que l’Obélix deviendrait soudainement superflu. En effet, un deuxième navire permettrait à la Marine d’assurer une présence sur les deux côtes, tout en effectuant l’entretien et en réalisant des exercices et des missions à l’étranger.
Rappelons que le vice-chef de la défense par intérim, l'amiral Darren Hawco, a déclaré au Comité des finances du Sénat, le 30 mai 2018, que « nous n'avons jamais vraiment examiné la nécessité ou le besoin d'un deuxième navire de ravitaillement intérimaire ».
Devant les échecs de Seaspan, les milliards de dollars en coût excédentaire et les mensonges, le premier ministre à une responsabilité de rétablir l’ordre ainsi que les faits dans le dossier de la Stratégie nationale de construction maritime dont les travailleuses et les travailleurs de la Davie font les frais depuis déjà trop longtemps. La population a droit à la vérité dans ce dossier, d’autant de plus que c’est elle qui assume la facture en bout de ligne.
Ann Gingras, présidente
Conseil central de Québec–Chaudière-Appalaches (CSN)