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Lettre ouverte - Le projet de loi 59 s’attaque aux victimes, pas aux vrais problèmes!

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CRÉDIT : ARCHIVES

16 mars 2021 12:49

Le projet de loi 59, qui vise à « moderniser » les lois en santé-sécurité, rate lamentablement la cible de protéger les personnes salariées. D’abord, lorsque l’objectif principal, identifié par le ministre du Travail Jean Boulet, est de réduire les coûts et qu’il se permet de chiffrer les économies, il y a quelque chose de vicié au départ.

Déjà, le régime de santé-sécurité au travail en place, depuis maintenant 40 ans, est à la dérive constante en raison d’une judiciarisation éhontée. Le projet de loi confie davantage de pouvoirs à la CNESST qui, elle, se préoccupe de ce qu’elle appelle «ses clients» (les employeurs) alors que l’objectif premier du projet de loi et de la CNESST, dans son quotidien, devrait être de rendre les milieux de travail sécuritaires. Ce n’est pas le cas.

La personne qui se retrouve victime d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle doit souvent faire face à un mur insurmontable digne des Douze travaux d’Astérix. Alors que le ministre, les grands esprits de la CNESST et les employeurs se tapent dans le dos à chaque début d’année en se félicitant de la baisse du nombre d’accidents de travail au Québec, la réalité est tout autre.

Il y a une distinction à faire entre les accidents acceptés et reconnus par la CNESST et les autres qui se font submerger dans un véritable tsunami de contestations. Si ce n’est pas l’employeur qui conteste la réclamation, c’est la CNESST qui refuse et même parfois, les deux. D’ailleurs, au tribunal, voir les avocats de la CNESST assis avec ceux de l’employeur n’est pas rare. Tous unis contre le travailleur. Pour se rendre au bout du processus et être entendue par un juge, la personne travailleuse doit bien souvent débourser des milliers de dollars pour des expertises médicales afin d’avoir une chance. L’employeur, lui, a à sa portée une armée dont le seul but est de permettre à celui-ci de se sauver de ses responsabilités.

Que ce soient des mutuelles, des bureaux de conseillers en relations de travail, des avocats et des médecins, rien n’est ménagé. C’est un vaste réseau parallèle qui s’est dressé aux côtés de la CNESST afin de se nourrir des personnes accidentées. Quelle tristesse qu’une infime partie de ces énergies ne soient plutôt consacrés à assainir les milieux de travail. Néanmoins, le projet de loi ne s’attaque pas à cette judiciarisation.

Il ne s’attaque pas non plus au mode de financement de la CNESST récompensant les employeurs qui multiplient les contestations, qui commandent des expertises médicales auprès des médecins, pourtant formés par nos impôts, mais qui ne soignent pas le monde et qui nagent à contrecourant des médecins traitants. Des médecins de papier dont la seule tâche est de donner raison à l’employeur qui les rémunère. Ils ne veulent surtout pas mordre la main qui les nourrit.

Devant ce constat, bon nombre de personnes n’osent pas et se retournent vers leurs assurances collectives, faisant ainsi monter les primes en flèches et permettant à la CNESST et les employeurs de se réjouir mutuellement de la baisse des accidents. D’autres, sans assurances, finissent sur l’aide sociale. Le ministre Boulet déclarait au départ qu’il connaissait les problèmes du régime puisqu’il y a travaillé. Manifestement, en tant qu’ancien procureur patronal, les problèmes qu’il connaissait ne sont aucunement les problèmes vécus par les personnes victimes d’un accident de travail.

Les économies engendrées par une application restrictive de la part de la CNESST amènent certes davantage de fric dans les poches des employeurs. Toutefois, au-delà du coût «financier», peu se préoccupent du coût humain et du coût social. Il est navrant qu’en 2021, les travailleuses et les travailleurs soient encore vus comme une matière jetable. Le projet de loi viendrait perpétuer le tout.

Ann Gingras, présidente du Conseil central de Québec — Chaudière-Appalaches (CSN)

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