Par Aude Malaret - audemalaret@journaldelevis.ca
Tout juste sorti de l’école normale, André Mathieu arrive en 1967 au Collège de Lauzon. «À l’école, il y avait une salle, qui n’était pas un gymnase, assez grande. Quand il pleuvait, les élèves se ramassaient là», se souvient l’enseignant. Avec l’animateur de pastorale du collège, ils se disent alors qu’il faudrait faire quelque chose pour animer l’école.
«On a commencé tranquillement dès l’automne 1967 à écouter de la musique et discuter dans cette salle. Petit à petit, on s’est dit qu’il fallait former un groupe d’une dizaine d’élèves intéressés à travailler bénévolement pour mettre sur pied des spectacles amateurs. Puis, on a invité des chansonniers, comme Pierre Calvé, Pierre Létourneau, Laurence Lepage», raconte André Mathieu.
Amateur de musique, l’enseignant avait lui-même couru les spectacles pendant ses études à Montréal. Et même, il avait habité dans la rue où Claude Léveillé résidait.
Des jeunes impliqués
«Quand je suis arrivé à Lauzon, tout le monde disait : ‘‘Il ne se passe rien ici! C’est une catastrophe Lauzon.’’ C’est pour ça qu’on l’a appelée La Catastrophe. On s’est dit qu’on allait bien voir! Et, on l’a appelée comme ça.»
Très vite, un groupe de jeunes s’implique dans le projet. Ils vendent les billets, ils montent la salle. «Ça a été vraiment extraordinaire, partage André Mathieu. Pour les jeunes, c’était devenu important. Ils ont appris à travailler en équipe et à s’entraider.»
Chaque vendredi, le public se rassemble à La Catastrophe. Tous les mois, deux soirées sont dédiées aux artistes invités, une aux musiciens et chanteurs amateurs, et la dernière est consacrée au cinéma. «On a des cinéastes qui venaient présenter leur film et discuter avec les spectateurs, comme Gilles Carle et Jean-Pierre Lefebvre», souligne le Lévisien.
«La première année, ça a commencé tranquillement. Mais après ça, la deuxième année, la troisième année et la quatrième année, c’est devenu grandiose, parce qu’on était capable de remplir la salle. Il y avait 25 élèves du secondaire avec nous-autres. Et mêmes certains qui étaient rendus au collégial. On se réunissait tous les mercredis soirs pour planifier ce qu’on faisait les vendredis.»
Des lieux d’affirmation de la culture québécoise
Pour André Mathieu, les boîtes à chansons sont alors des lieux de rassemblement où les gens veulent se retrouver et vivre leur culture. «Ça a débuté avec la jeunesse de 15 à 20 ans qui voulait se retrouver et construire ensemble la mentalité québécoise. Dans le temps de la montée du nationalisme québécois des années 60 et 70, ça a joué beaucoup. Pendant cette période, les gens ont arrêté de dire qu’ils étaient des Canadiens français, ils disaient qu’ils étaient des Québécois. Ça a commencé comme ça», explique-t-il.
Dans les boîtes à chansons, le public vient là pour écouter et c’est toujours de la musique à texte, rappelle-t-il. «Les artistes nous disaient que nous avions un devant de salle (le public) fantastique. On faisait venir des artistes engagés aussi, comme Claude Gauthier. Quand Pauline Julien est venue avant la crise d’octobre, elle en mettait du nationalisme. C’est ça que les gens vivaient, toute cette montée vers ce qui a été le Parti québécois par après. Tout ce militantisme est parti là.»
Une fin brutale
Claude Léveillé, Laurence Lepage, Pauline Julien, Tex Lecor, Georges Dor, Renée Claude, Les Cyniques, Claude Gauthier, Pierre Calvé, tous sont venus à Lauzon. Un des meilleurs souvenirs pour André Mathieu, c’est le spectacle des Cyniques, «qui a fait lever Lauzon». «Ils avaient le don quand ils arrivaient quelque part de s’informer de tout ce qu’il se passait et d’en parler sur scène. La salle était pleine, il y avait peut-être 400 personnes entassées autour des tables. Et les gens étaient dans les fenêtres quasiment empilés les uns au-dessus des autres.»
L’aventure se termine malheureusement d’une façon catastrophique. «Après un spectacle, on avait tout ramassé. La fin de semaine, je reçois un appel de la police comme quoi l’école avait été défoncée. Et, on s’était fait voler tout notre matériel, tout le système de son, les éclairages. Tout ce qu’on avait acheté, morceau par morceau avec les petits bénéfices qu’on faisait. Tout ça est disparu en une soirée et la police n’a rien retrouvé. Ça a été le coup de massue qui a fait que la boîte à chansons a arrêté.»
De ses années à la tête de La Catastrophe, André Mathieu avait conservé des affiches, des contrats ainsi que de nombreuses coupures de journaux et revues sur les artistes. Tout ce matériel a été offert au Musée de la Mémoire vivante à Saint-Jean-Port-Joli. La nouvelle salle consacrée aux boîtes à chanson dans la province présente donc quelques-unes de ces archives ainsi que des témoignages des artisans de la salle de Lauzon.