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S’ils étaient tolérants lors de l’arrivée «temporaire» de la ressource, les résidents rencontrés se disent «saturés» par l’achalandage important à l’extérieur du 55. Selon eux, les personnes itinérantes sont présentes à la grandeur du Vieux-Lévis.
«On nous fait porter l’odieux d’être des ‘‘Pas dans ma cour’’ alors que la réalité, c’est que ce n’est pas le site approprié pour ce service. Ça nuit à l’effort de sensibilisation, ça va à l’encontre de l’idée même de la mixité parce que les gens deviennent intolérants», explique Louis-François Tanguay.
Si les interventions policières sont de plus en plus fréquentes et quotidiennes au coin de la rue, le voisinage ne se sent plus en sécurité.
«On nous prête de fausses intentions, on se fait étiqueter d’être des ‘‘Pas dans ma cour’’, mais on a à peine parlé. On veut simplement vivre avec la quiétude. Quand on nous dit qu’on est réfractaire à la différence, ce n’est pas vrai. On brime les citoyens dans leur sécurité», ajoute Jean Dumont, qui souligne également qu’un individu intoxiqué est entré dans sa maison alors qu’il était sorti chercher quelque chose dans sa voiture.
Porte d’entrée défoncée, bac de recyclage fouillé, voir un inconnu s’asseoir sur son balcon, entendre des cris constamment dans les rues la nuit, se faire invectiver par des inconnus dans les rues et assister à de la consommation de drogues sur la voie publique ne sont que quelques exemples de ce que vivent régulièrement ces citoyens, racontent-ils.
«Mes serveuses ne veulent plus quitter seules vers leur voiture à la fin de leur quart de travail. Elles attendent d’être deux ou trois avant de quitter parce qu’elles ne se sentent pas en sécurité. Ça n’a plus d’allure, on veut aider, mais un moment donné, on ne peut plus», partage Martin Patry, propriétaire du restaurant L’Intimiste sur l’avenue Bégin.
«On est au cœur du lien commercial du Vieux-Lévis, au cœur de l’endroit où on croise nos voisins. Je croise les gens de mon quartier quand je sors m’acheter un café ou un pain, quand je vais au restaurant. Maintenant, les gens désertent le coin. On les voit directement, les impacts, il n’y a plus personne dehors et il n’y a plus de sentiment de communauté. On a brisé le centre de rencontres du Vieux-Lévis qui est cette artère commerciale», déplore Pierre Longchamps, citoyen de troisième génération sur l’avenue Bégin.
Un lieu inadéquat
Pour ces résidents et commerçants du Vieux-Lévis, le 55, côte du Passage, n’est pas l’endroit approprié pour ce genre de ressource, par sa location et son installation qui nécessiterait une cour arrière pour encadrer les usagers. Ils déplorent également le statut d’accueil inconditionnel exprimant que plusieurs individus qui traînent dans le secteur ne viennent pas du territoire lévisien, mais plutôt de Québec, Bellechasse, Lotbinière et même Montréal.
«Est-ce que c’est vraiment de la tolérance que d’accueillir toutes les situations, problématiques et localités qui nous entourent? Je ne pense pas. Tous les résidents et commerçants du secteur sont ouverts à la différence, ce n’est pas ça l’enjeu. Est-ce qu’on doit vraiment solutionner les problématiques de personnes hors de notre territoire quand la demande est assez grande juste à Lévis?», martèle Jean Dumont.
Bien qu’ils ne soient pas contre les services offerts et les histoires d’usagers qui se sortent de ces situations de vie malencontreuses, c’est plutôt ceux qui sont toujours présents et qui ne font que profiter de l’endroit qui les dérangent.
«Les gens qui s’en sortent, on ne les voit pas. Ce qui est dommage avec ce genre de ressources, c’est que les succès des intervenants, on ne les voit pas. On ne voit que les usagers des portes tournantes, ceux qui ne sont pas capables et qui n’ont ni la motivation ni l’intérêt de s’en sortir. Le 55, ça devient une plaque tournante pour ces personnes-là, ils viennent voir leurs amis», indique Pierre Longchamps.
«Une mixité mal planifiée comme celle-là, c’est tellement disproportionné, déséquilibré et mal placé qu’on se désensibilise à leur cause puisqu’on est surexposé. C’est un pôle tellement fort de toutes sortes de gens qui sont dans le pétrin. Je veux bien être sensible à leur cause, mais en contrepartie qu’est-ce qu’on nous offre à nous le voisinage pour faciliter la mixité?», renchérit Louis-François Tanguay.
Des répercussions économiques
Pour le propriétaire du restaurant L’Intimiste, le 55, côte du Passage, n’aide pas à la revitalisation de l’artère commerciale du Vieux-Lévis.
«Ça fait 28 ans que j’ai mon restaurant, ça fait 28 ans que tout le monde met des efforts à revitaliser l’avenue Bégin et, finalement, on vient casser tout ce qui a été fait en 28 ans. Le quartier est en train de mourir et ce n’est pas seulement pour cette raison, mais ça en occupe une grande partie. On commence la saison touristique, les gens vont arriver dans le Vieux-Lévis et vont vouloir repartir», se désole-t-il.
Si L’Intimiste est une «destination» pour les touristes, Martin Patry a compilé quelques avis publiés sur Internet de clients qui ne reviendront pas parce qu’ils ne se sentent «juste plus en sécurité dans ce coin du Vieux-Lévis qui a tellement (mal) changé», peut-on lire dans l’un des avis.
«Il y a un déséquilibre absolument flagrant dans l’offre de services sociaux et les usagers qui y viennent avec la vitalité et la force du milieu économique. Le Vieux-Lévis est à genoux et on se questionne à savoir s’il pourra se relever un jour avec l’explosion de la demande de cette ressource», mentionne Pierre Longchamps.
Ces citoyens et commerçants se désolent de maintenant devoir barrer leurs portes, installer des systèmes d’alarme, ajouter de l’éclairage et fermer les rideaux afin de se sentir en sécurité chez eux.
«Des fois, je me pose la question : Qu’est-ce que ça va prendre pour que l’inertie soit surmontée? Est-ce que ça va prendre un décès, un accident ou que quelqu’un se fasse attaquer? Qu’est-ce que ça prend pour que ça bouge?», se questionne Louis-François Tanguay.
«On nous dit qu’on est des ‘‘Pas dans ma cour’’, mais quand ces personnes convergent le soir et le matin vers Le 55 et s’attroupent, c’est moi qui ai l’impression d’être dans leur cour», conclut Jean Dumont.