Par Marie-Josée Morency, présidente-directrice générale de la Chambre de commerce et d’industrie du Grand Lévis (CCIGL)
D’abord, le contexte local. Les partenaires régionaux de la réussite éducative rappellent depuis quelques années que la proportion de jeunes du secondaire qui occupent un emploi rémunéré est élevée dans notre région. Dans une sortie récente, on rappelait qu’en Chaudière-Appalaches, la part d’élèves du secondaire qui travaillent dépasse nettement la moyenne québécoise, un signal d’alarme pour la persévérance scolaire et un défi bien réel pour les employeurs au moment de la rentrée.
Pourquoi s’y attarder? Parce que l’équilibre entre heures en classe, devoirs et travail influence directement la réussite éducative : au-delà d’environ 15 à 25 heures par semaine, on observe davantage de baisses de résultats, de démotivation et de fatigue chez les jeunes. Et, depuis 2023, le cadre légal va dans le même sens : l’âge minimal pour travailler est fixé à 14 ans et, pour les 14–16 ans qui doivent fréquenter l’école, l’horaire est limité à 17 heures par semaine, dont un maximum de 10 heures du lundi au vendredi, afin de prioriser la scolarité. En bref, plus on augmente le nombre d’heures, plus on rogne sur le temps d’étude et de repos.
À l’échelle du Québec, les données les plus récentes montrent que l’emploi étudiant a repris de la vigueur depuis la pandémie, alors que les jeunes demeurent fortement présents sur le marché du travail pendant l’année scolaire. Le suivi statistique public offre un portrait qui confirme la tendance : la conciliation travail-études est devenue un enjeu durable, pas un simple «pic» post-COVID.
Pour nos entreprises, l’effet se fait sentir dès la mi-août : réduction de disponibilité, demandes d’échanges de quarts, et parfois départs définitifs pour se recentrer sur les études. C’est particulièrement vrai dans le commerce de détail, la restauration et les services, secteurs importants de l’économie lévisienne. Les tableaux économiques municipaux et régionaux le démontrent : la vitalité de l’emploi local est forte, mais la pression sur la main-d’œuvre demeure une réalité structurelle que la rentrée accentue.
Que peuvent faire les entreprises, concrètement, pour traverser cette période sans y laisser des ventes… et en soutenant la réussite de nos jeunes employés? Planifiez tôt : dès juillet, recueillez les horaires scolaires et simulez la couverture des quarts jusqu’à l’Action de grâce pour prévoir les trous et ajuster le recrutement. Limitez les heures en période scolaire (12–15 h/semaine, moins pendant les examens) pour protéger la réussite et votre image d’employeur responsable. Diversifiez vos effectifs (étudiants, semi-retraités, parents, autres temps partiels) afin de stabiliser le service. Offrez des «blocs réussite» (ex: deux soirs sans quart avant 19 h) et privilégiez des quarts plus longs mais moins nombreux. Formez rapidement vos nouvelles recrues et obtenez des engagements clairs pour les périodes clés. Plusieurs ressources régionales peuvent vous accompagner, comme les partenaires pour la réussite éducative en Chaudière-Appalaches (PRÉCA) sur lequel la CCIGL siège au comité Conciliation études-travail depuis quelques années.
On le sait, réduire les heures en période scolaire n’est pas simple pour nos entreprises : horaires éclatés, marges serrées, clients exigeants. Ce n’est pas «perdre des bras», c’est composer avec la réalité pour protéger la réussite des jeunes tout en gardant des opérations stables. À Lévis, miser sur cet équilibre est un pari lucide : on investit dans un capital humain plus qualifié sans sacrifier la qualité des services. Bien préparée, la rentrée cesse d’être un casse-tête et devient un avantage compétitif : celui d’un employeur prévisible, empathique et performant.