mardi 16 septembre 2025
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L’assassinat du débat municipal : le meurtre silencieux dont personne ne parle

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16 sept. 2025 12:18

La situation actuelle dans le monde municipal est la suite illogique des choses. Elle reflète une tendance qui ronge notre société: la culture de la cancellation. Longtemps limitée aux réseaux sociaux et à certains groupes militants, elle s’est désormais infiltrée dans plusieurs administrations et conseils municipaux, au point d’être devenue l’anneau unique de la gouvernance, sous le couvert d’une prétendue bienveillance bien sûr.

Par Renaud Labrecque, directeur général de la municipalité de Parisville

Le scénario est toujours le même : lorsqu’un citoyen se déplace à une séance du conseil ou interpelle sa municipalité, il se heurte trop souvent à un mur. On lui promet une réponse ultérieure qui n’arrive jamais ou, pire encore, une réponse qui vise à l’épuiser. Ce n’est pas un accident : on enseigne aux élus, dès leur première formation obligatoire, qu’ils n’ont pas à répondre en séance. «Renvoyez-les vers l’accès à l’information», leur dit-on, comme si un processus bureaucratique pouvait remplacer un véritable échange démocratique.

Résultat : on évite les débats et on étouffe la parole dès qu’elle force la justification. Pourtant, les citoyens n’ont aucun pouvoir décisionnel. La majorité veut simplement comprendre, s’exprimer et participer à la vie démocratique. Oui, parfois maladroitement, mais c’est la responsabilité de la municipalité de leur expliquer le fonctionnement et de justifier ses décisions. En refusant de débattre, les élus deviennent les artisans de leur propre malheur, car oui, le débat reste le seul outil démocratique digne de ce nom. 

Plus inquiétante encore est l’illusion d’unanimité qui s’est installée dans plusieurs conseils municipaux. Vote après vote, les décisions sont adoptées comme si tous pensaient la même chose. Cette uniformité forcée envoie un message dévastateur : en public, le débat n’est plus toléré! Plus de nuances, plus de divergences. Or, la démocratie se vit en public et se nourrit de la pluralité des opinions. Ce qui se décide en huis clos échappe à la population et dénature la politique municipale. Cette pratique anéantie les aptitudes nécessaires au débat et génère une incapacité à accepter la critique lorsqu’elle se présente.

C’est pourquoi dans plusieurs partis municipaux un élu qui vote différemment est vu comme un traître, même s’il est en fait une richesse. Cette diversité n’est plus tolérée : tous doivent voter dans la même direction, donnant l’image d’une communion religieuse. 

Cette culture de la cancellation s’alimente également par les alliances implicites entre conseils, maires, responsables des communications et certains médias. Ces clans fonctionnent comme des réseaux fermés où la proximité frôle parfois le sectarisme. Les citoyens qui osent lever la main sont ridiculisés, ignorés parfois menacés de mise en demeure. Certains médias sont boycottés pour avoir défié l’orthodoxie. Des chroniqueurs sont publiquement dénigrés pour avoir révélé des failles. En se «provincialisant», le palier municipal imite son cousin peu enviable et s’éloigne des citoyens qu’il devrait servir. L’unanimité sert alors de paravent à une réalité bien plus trouble. 

Le pire, c’est que plusieurs se sont habitués à ce climat. Comme si tout cela était normal. Comme si répondre «ce que vous dites est faux» sans jamais le démontrer constituait un argumentaire digne des plus grands débatteurs. Comme si la cancellation était une méthode acceptable de gouvernance. Or, elle est tout le contraire : c’est un poison démocratique. La cancellation, c’est refuser un débat factuel, boycotter la parole de l’opposition, réduire au silence les citoyens qui posent des questions dérangeantes, menacer de poursuites ceux qui s’expriment différemment et associer toute opposition à de la propagande. Bref, c’est enfermer la discussion politique dans une fausse unanimité qui tue l’esprit critique. 

Peu à peu, un climat s’installe où toute contestation devient suspecte et toute divergence est perçue comme une attaque personnelle. Dans un même parti politique, la moindre remise en question entraîne des représailles, et vous osez prétendre ouvrir le dialogue à l’autre? 

Cette logique de cancellation engendre des conséquences plus graves que celles qu’on reproche aux «cancelés» : elle mine la confiance et creuse le fossé entre institutions municipales et citoyens. Ceux-ci, voyant leurs voix ignorées, leurs médias boycottés et leurs questions balayées, finissent par se détourner de la politique locale. Cela profite uniquement à ceux qui préfèrent gouverner sans opposition, comme un sportif médiocre qui invente un nouveau sport pour se convaincre qu’il performe. 

Ce cercle vicieux est clair : moins de débats, plus d’unanimité imposée. On critique la déconnexion des politiciens provinciaux et fédéraux chaque jour, mais plusieurs municipalités les ont dépassés. 
La culture de la cancellation s’est enracinée dans nos institutions locales. Elle gangrène le débat public, affaiblit la démocratie et prive citoyens et élus d’un espace privilégié d’échanges. Refuser le dialogue, imposer une unanimité artificielle, manipuler l’information à des fins politiques, menacer les voix critiques, boycotter les médias et répondre par le silence : voilà le vrai visage de cette culture toxique, trop souvent associée à une fausse vertu d’inclusion. 

Il est urgent de briser ce cycle. Au municipal comme ailleurs, la démocratie ne peut survivre sans débat et sans diversité d’opinions publiques. Elle repose sur le dialogue, la confrontation des idées et la reconnaissance que l’administration n’a pas toujours raison. Cela est sain. Ce qui ne l’est pas, c’est d’invoquer des excuses pour éviter de répondre aux questions légitimes, fermer la porte aux citoyens qui dérangent ou transformer des termes lourds de sens comme propagande, désinformation ou incitation à la haine en paravents pour éviter d’exposer votre argumentaire défaillant. 

Ces agissements ne laissent certes aucune mare de sang comme une balle peut le faire, mais, au sens démocratique, par vos gestes, votre silence, vos boycotts et votre attitude, c’est l’équivalent d’un meurtre que vous commettez : celui de la démocratie municipale. 

Voici le vrai visage du courage politique de ceux qui s’autoproclament courageux.

Cette chronique fait partie de notre section Opinions, qui favorise une pluralité d'idées. Elle reflète l'opinion de son auteur, pas celle du Journal de Lévis.

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