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Lettre ouverte

L'art de faire disparaître en douce notre paysage funéraire patrimonial

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Vue du mausolée Pierre Bourget sécurisé. Au premier plan, le monument funéraire du capitaine Bernier, érigé en 1984 en remplacement du mausolée détruit. Photo : Courtoise - Gaston Cadrin

23 nov. 2023 11:16

Le 26 octobre dernier, la Corporation du cimetière Mont-Marie à Lévis (devenu récemment, Mont-Marie, corporation de cimetières) informait par courriel la Société d’histoire de Lévis qu’elle avait dû sécuriser le terrain autour du caveau Bourget, «très abimé et de plus en plus dangereux pour la sécurité des employés et des visiteurs du cimetière».

Note de la rédaction : Le Journal de Lévis n'endosse aucune opinion qui est partagée dans les lettres d'opinion ou ouvertes publiées dans notre section Opinions. Les opinions qui sont exprimées dans ce texte sont celles de l'auteur signataire.

La directrice administrative, Nathalie Champagne, ajoutait que «le caveau Bourget est bien connu des gens de Lévis, plus particulièrement de ceux du secteur de Lauzon. Il est abandonné depuis 1966, date du dépôt du dernier cercueil de la famille, et aucun descendant ne s’est manifesté depuis. Il a une valeur sentimentale pour les gens du coin, mais pas vraiment de valeur patrimoniale. Les monuments et autres installations qu’on retrouve sur les lots concédés de la Corporation sont de la seule responsabilité des concessionnaires. Compte tenu de l’état du caveau, lors de sa dernière assemblée le comité administratif de Mont-Marie, corporation de cimetières a adopté une résolution autorisant la démolition de ce caveau ainsi que la relocalisation des corps qui y ont été déposés».

Voilà, le sort en est jeté, la pelle mécanique sera à pied d’œuvre au printemps, si aucun obstacle ne se dresse… De prétendre que ce mausolée (terme plus approprié que caveau) n’a pas de valeur patrimoniale, alors qu’il ne reste que trois structures du genre dans ce cimetière, démontre clairement que la gestion de nos cimetières — ces parcs jardins témoins de l’histoire des bâtisseurs du lieu et du monde ordinaire — n’a guère changé depuis certaines dénonciations passées.

Pour mémoire, le 19 novembre 1996, l’historien Michel Lessard, vice-président du Groupe d’initiatives et de recherches appliquées au milieu (GIRAM), tenait un point de presse dans le cimetière Mont-Marie pour dénoncer la pratique de destruction des stèles familiales lorsque les concessionnaires ne réglaient pas leur compte.

Celui-ci déplorait la disparition de nombreux mausolées, dont celui du capitaine Elzéar Bernier (construit en 1888), et l’envoi à la casse de nombreuses stèles à valeur historique, représentant parfois des personnages marquants, tels Alphonse Desjardins et bien d’autres. Pour notre collègue Lessard, les cimetières, et notamment les cimetières-jardins conçus à compter du XIXe siècle, sont des lieux de mémoire, d’histoire, d’art et de pérennité qui doivent être conservés pour les générations futures. C’est dans ce contexte que des gens avaient cru y indiquer une trace de leur passage. Ceci, en consentement des milliers de dollars à un monument installé sur un lot loué soit-disant à perpétuité. Aucune de ces familles n’avaient prévu que leur monument funéraire pouvait finir en dallage de patio ou à des fins autres…

Cette gestion strictement financière, consistant à faire disparaître les stèles de ceux qui ne paient pas leur dû depuis un certain temps et de céder ces lots à de nouveaux concessionnaires, contribue à évacuer graduellement le paysage funéraire historique et patrimonial. La décision récente de démolition du mausolée Bourget à la suite d’un manque d’entretien, constitue hélas un autre triste exemple.

Imaginez, il ne reste que trois mausolées à valeur patrimoniale dans tout le cimetière : celui du généreux bienfaiteur, homme d’affaires et maire Georges Couture (1887), celui du notaire Léon Roy (1886) et celui du marchand et maire Pierre Achille Bourget (milieu de 1890).

Cela devrait être un devoir pour ladite Corporation de les conserver et les restaurer, car ils constituent un témoignage visuel exceptionnel de l’importance de ces monuments majestueux du dernier repos au XIXe siècle. Les administrateurs et les administratrices de la corporation doivent tenir compte de la nécessité et de l’importance de conserver au cimetière Mont-Marie, ses caractéristiques esthétiques, historiques et écologiques; bref, conserver l’esprit du lieu, d’un lieu verdoyant et patrimonial.

Le mausolée de Pierre Bourget (1848-1915), ancien maire de Lauzon pour deux mandats (1891-1892 et 1894-1895) et chevalier de Saint-Grégoire-le-Grand , doit être absolument conservé. Il est une véritable œuvre d’art, il est même plus impressionnant que celui du capitaine Bernier avec ses quatre colonnes et ses murs en belles pierres de granite de différentes couleurs. Bien que Pierre Achille Bourget décède en 1915, il est fort possible que son mausolée familial soit plus ancien et qu’il ait été édifié pendant qu’il était maire, période où ce type de monument était fort courant pour les personnages prestigieux.

À notre avis, ce mausolée ne présente aucune dégradation irréversible le condamnant à la démolition. Certes, quelques pierres verticales en façade doivent être stabilisées, tandis que les murs latéraux et le mur arrière nécessitent le nettoyage des joints, l’ajout d’une pierre ou deux et un re-jointement; ce qui constitue une intervention à des coûts acceptables. Le toit aurait besoin d’une réparation afin d’éviter les infiltrations et, sur le plan esthétique, une porte en métal devrait idéalement cacher les horribles blocs de béton placés antérieurement.

La restauration de ce mausolée est d’autant plus nécessaire qu’il se situe voisin du lot du capitaine Bernier et du nouveau monument érigé en 1984 après le vandalisme et la destruction de l’ancien mausolée. De plus, c’est le seul mausolée subsistant dans la partie lauzonnaise du cimetière. Selon le GIRAM, il revient prioritairement à l’organisme Mont-Marie, corporation de cimetières d’assumer la responsabilité de conserver l’ensemble du patrimoine funéraire (croix, calvaires, chemin de croix, stèles monumentales, etc.) pour les générations futures.

Le Québec devrait suivre l’exemple de la province de l’Ontario qui a adopté une loi en 2012, exigeant que les corporations de cimetières constituent un fonds placé en fiducie servant exclusivement à l’entretien des monuments et des constructions funéraires. Les prélèvements autorisés à cette fin s’élèvent à 40 % du prix d’une concession, 20 % du coût d’une crypte et 10 % du coût d’une niche de colombarium .

Enfin, puisque 75 à 80 % des corps des personnes défuntes seront incinérées et que plusieurs choisiront une niche dans un colombarium ou le dépôt d’une urne en sol, il devient urgent de trouver des formules qui permettent de sauvegarder les aspects paysagers et patrimoniaux du cimetière Mont-Marie et des centaines de cimetières dispersés à travers le Québec. L’enlèvement des stèles ou monuments funéraires devrait être la solution de dernier recours.

Nous suggérons à corporation du cimetière Mont-Marie et à d’autres gestionnaires de cimetières au Québec de s’inspirer des recommandations ci-dessous; entre autres, de mettre en place des moyens, notamment financiers, afin d’assurer la pérennité des éléments historiques ou plus récents les plus remarquables du cimetière Mont-Marie.

Nos recommandations à Mont-Marie, corporation de cimetières;

- Conserver et restaurer le mausolée de l’ex-maire de Lauzon, Pierre Bourget. Entre temps, une bâche de protection devrait être posée avant l’hiver afin d’éviter une plus grande détérioration;

- Dresser urgemment un inventaire des stèles ou monuments intouchables en raison de leur valeur historique et/ou esthétique, afin de ne pas seulement considérer le paiement ou non pour leur conservation et leur entretien;

- Constituer un fonds d’entretien à même des contributions spécifiques provenant des concessions de lots, de niches en colombarium ou encore d’un paiement prolongé (dépassant les 30 ans d’une concession) par les familles concernées. Ce Fonds serait placé en fiducie et une loi-cadre du gouvernement devrait encadrer ce processus;

- Création d’une fondation (reçus de bienfaisance aux souscripteurs-res) dédiée à l’entretien des éléments orphelins du cimetière: chapelles, mausolées, caveaux, sites d’intérêts et stèles les plus remarquables, soit par leur valeur patrimoniale et ou par leur ancienneté.

En 2006, on dénombrait au Québec, 22 cimetières classés par le ministère de la Culture, 27 cités patrimonial par une ville ou une municipalité et 5 ayant un statut de protection fédéral .

Considérant, la valeur historique et paysagère du cimetière Mont-Marie, le GIRAM analysera la pertinence de demander soit le classement national ou la citation (municipale) du cimetière de Lévis comme site patrimonial, selon l’article 58 ou l’article 127 de la Loi sur le patrimoine culturel.

 Gaston Cadrin

Vice-président du Groupe d'initiatives et de recherches appliquées au milieu (GIRAM)


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