Depuis quelque temps, j’ai vu cette dynamique s’implanter dans plusieurs municipalités. Le pouvoir s’est barricadé derrière une forteresse émotionnelle. Les élus et gestionnaires n’ont plus besoin d’argumenter, ils utilisent les larmes. Ils ne débattent plus, ils font des crises émotionnelles. Et si on questionne, on devient aussitôt un intimidateur, un agresseur, voire un misogyne si on ose s’adresser à une femme.
Le dialogue, autrefois fondé sur la rigueur et la chicane saine, a cédé la place à la dramatisation et à la victimisation. Le débat public ressemble désormais à une discussion avec un bébé qui pleure. La victimisation, c’est le nouveau pouvoir. Beaucoup jouent les vulnérables pour éviter la critique. Ils endossent le rôle de victime avec un talent d’acteur digne d’une soirée de roleplay. C’est pervers! Ce n’est plus celui qui gouverne qui rend des comptes, c’est celui qui questionne qu’on transforme en agresseur. Le citoyen, le journaliste et le fonctionnaire deviennent des menaces simplement parce qu’ils remplissent leurs devoirs : poser des questions, demander des explications et défendre le trésor public.
J’ai vu, dans certains conseils municipaux, des questions simples qui se répondent par un «oui» ou un «non», provoquer de véritables paniques émotionnelles. Ils fuient la discussion comme si chaque mot un peu vif déclenchait un syndrome post-traumatique. Le courage, autrefois célébré, a laissé place à une prudence émotionnelle maladive. Et les journalistes? Beaucoup ont compris: mieux vaut se taire, par peur, par confort ou simplement pour garder son salaire.
L’ironie, c’est qu’on parle sans arrêt de leadership, de courage et d’empowerment. On en fait des formations, des conférences, des rapports, c’est légion dans le monde municipal. Mais dans les faits, personne n’assume rien. On ne dit plus «j’ai décidé» ou «je me suis trompé».
Et voilà le sommet de l’hypocrisie : ceux qui prêchent la paix, l’inclusion et le respect deviennent les premiers agresseurs. Ils brandissent la tolérance, mais pratiquent l’exclusion. Ils défendent leurs émotions, pas les principes. Leur confort, pas la vérité. Montrez-leur une problématique appuyée d’une preuve, comme un médecin annonce un cancer et ils la rejettent non parce qu’elle est fausse, mais parce qu’elle dérange leur chakra émotionnel. Pour eux, la vérité n’a plus de valeur. La bonne information est celle qui ne trouble pas leur méditation. Une vérité dite calmement devient «violente» et un mensonge sous une robe à paillettes obtient des applaudissements.
Cette nouvelle vague repose sur un principe unique : imposer une pression morale à celui qui ose parler différemment. Elle ne restreint pas avec des menottes, mais avec des regards d’indignation. On ne vous interdit pas de parler! Mais on s’assure de vous faire honte de l’avoir fait. Le contrôle n’est plus autoritaire, il est affectif. Ce n’est plus la qualité d’une idée qui compte, mais l’émotion qu’elle provoque. Et celui qui bouscule cette paix artificielle devient aussitôt le problème. Le rapport de force s’est inversé, et c’est terriblement efficace. Les détenteurs du pouvoir gouvernent sans rendre de comptes, protégés par leurs émotions fragiles.
Vous doutez? Regardez; le palier provincial verse des millions en aide financière aux municipalités et exige des redditions de comptes. Mais c’est lui, l’agresseur, parce qu’il ose demander des redditions! Pour les adeptes de victimisation, il ne faudrait pas rendre de comptes: «Donnez-nous l’argent, faites-nous confiance, on vit dans une grande commune.»
Ce pouvoir des émotions, qu’on présente comme progressiste, est en réalité un recul démocratique. Une démocratie où l’on ne peut plus critiquer sans craindre de blesser ni débattre sans culpabilité, est une démocratie qui s’éteint lentement. Et je vous le dis : il fait déjà très noir dans la pièce. Le citoyen, l’élu, le fonctionnaire doivent pouvoir confronter leurs idées sans craindre de froisser des égos ou de briser des petits cœurs. La discussion publique devrait être un espace de raison, pas une garderie affective. Il est temps de remettre la logique et la responsabilité de l’avant.
Valorisons le courage du je : Dire «j’ai décidé», «je me suis trompé», «j’assume». Accepter la confrontation comme moteur du progrès. Parce que, se proclamer progressiste dans une chambre d’écho, c’est comme vendre des gâteaux en prétendant que c’est sain comme une carotte.
Dans leur univers, tout doit être doux et inoffensif. Ils veulent être des Calinours et envoyer des cœurs ou des signes de paix. Cessons d’associer le respect à la soumission. La compassion est une vertu, oui, mais utilisée comme bouclier ou comme arme, elle devient un outil de contrôle.
Aujourd’hui, il ne suffit plus d’avoir une opinion : il faut oser l’assumer. Et surtout, refuser de se taire parce qu’elle dérange. Assez du «je vais m’abstenir de commentaire». Parlez! Parlez respectueusement, mais parlez. Le monde municipal a besoin de vous entendre.
À vous, adeptes de la victimisation : Vous n’êtes pas des victimes parce qu’on vous questionne ou qu’on vous contredit. Vous avez des comptes à rendre ça vient avec le titre.
Les vraies victimes, ce sont celles et ceux qui subissent des représailles pour avoir eu le courage de parler.